Le journaliste et auteur Victor Castanet complétait le 25 janvier 2023 son ouvrage Les Fossoyeurs de dix nouveaux chapitres accablant une nouvelle fois la conduite du groupe Orpea. L'occasion de revenir sur l'origine du scandale et ses conséquences aujourd'hui.
Orpea est l'acronyme d’Ouverture, Respect, Présence, Écoute, Accueil,
dont le groupe en a fait son mantra.
crédit : Stéphane Mahe
Nouvelle secousse pour Orpea. Victor Castanet publiait mercredi 25 janvier 2023 la réédition de son livre Les Fossoyeurs, accablant la conduite des établissements Orpea. Accueilli comme un véritable séisme, le livre se complète de dix nouveaux chapitres tout aussi fustigeants. Manipulations, pressions, menaces, corruption… L’auteur se livre sur le “pendant” de son enquête, dont la parution ne semble pas avoir eu d’effet sur le “leader européen des Établissements hospitaliers pour les adultes dépendants (Ehpad)”. La rédaction de Dispatch, revient pour vous sur l’ensemble du “OrpeaGate”.
La situation des établissements pour seniors en France
Selon une étude d’Uni Santé, la France métropolitaine comportait 7 353 Ehpad en 2021, dont 44,5 % sont publics. On estimait cette même année à une place en Ehpad pour dix personnes âgées de plus de 75 ans. Toutefois, l’offre est inégale et les Français ne bénéficient pas des mêmes chances d’accès aux établissements. En effet, la région Ile de France comporte une capacité d'accueil inférieure ou égale à 8 places pour 100 personnes de plus de 75 ans, là où la Bretagne et les Pays de la Loire possèdent des capacités d’accueil supérieures à la moyenne nationale.
Le coût moyen mensuel s’élevait en 2022 à 2 224,20 euros, soit près de 27 000 euros par an. Il y a deux ans, en 2021, la facture annuelle s’élevait à 26 196 euros, et 25 884 euros en 2020. Soit une augmentation d’environ 4.3 % en 2 ans.
Tandis que les prix des hébergements augmentent, les résidents accueillis deviennent de plus en plus dépendants et la population des Ehpad est davantage vieillissante. En effet, selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), les résidents accueillis présentent des taux de dépendance plus importants : cela se caractérise notamment par une perte d’autonomie, des troubles de cohérence… En 2019, “deux tiers des sorties définitives sont liées au décès de la personne accueillie et, dans 75 % des cas, ce dernier survient dans l’établissement”, peut-on lire dans le rapport de la DREES.
Orpea : le profil du leader
Le groupe Orpea comporte 356 établissements en France, soit 33 284 lits (selon les chiffres d’Orpea). Fondé en 1989, le groupe est devenu au fil des années la référence des établissements dédiés aux seniors. Il était même le “1er exploitant privé français de maisons de retraite” jusqu’en 2014. Implanté à travers toute l’Europe, le géant s’est également imposé en Chine, au Brésil, ou encore au Chili. Orpea, c’est finalement 1 114 établissements dans le monde pour 111 801 lits. Outre les maisons de retraite médicalisées et les Ehpad, la filiale regroupe la branche Clinea, spécialisée en psychiatrie et en soins de suite et de réadaptation (SSR), et les réseaux d’agences d’aide à domicile Domidom et Adhp Services.
Janvier 2022 : Les Fossoyeurs ou le début du scandale
Victor Castanet, journaliste d’investigation, publiait le 26 janvier 2022, le livre Les Fossoyeurs, dont le nombre de tirages s'élevait en mars 2022 à 225.000 exemplaires.
Fort de plusieurs centaines de témoignages et d’un travail d’investigation réparti sur trois ans, il fut récompensé en 2022 du prestigieux prix Albert-Londres.
crédit : Philippe Matsas
Victor Castanet dénonce les divers cas de maltraitance recensés dans les établissements du groupe. Rationalisation de nourriture, négligence des résidents, priorisation de la maximalisation des profits… Nombreux sont les faits accablant le groupe. De nombreux témoignages accompagnent les pages du livre. “J'ai retrouvé de la nourriture avariée dans sa chambre, ma mère était laissée par terre pendant plusieurs heures alors qu'elle avait appelé", témoigne Laurent Gény, dont la mère aurait subi des maltraitances du personnel d’un Ehpad Orpea des Alpes-maritimes. Le personnel des établissements témoignent également d’un rythme de travail indécent et véritablement défavorable à l’exercice de leur métier. “Si on arrivait à leur donner une douche par semaine, c’était bien !”, dénonce une ancienne aide-soignante dans un article de France 3 Nouvelle Aquitaine. “On ne nous a jamais donné le temps, ni les moyens, de se concentrer sur la douche, parce qu’on est persuadé que ces gens sont trop vieux pour avoir connu la salle de bain !”. Celle-ci avait dénoncé un manque de moyens humains et matériels à l’Agence régionale de santé, en vain. “Cela m’a valu une mise à pied d’une journée. On m’a parlé du devoir de réserve. Je m’en fiche, je ne travaille pas pour le public !” avait-elle dénoncé.
L’auteur révélait lors d’une interview chez BFMTV avoir subi des tentatives de corruption de la part du groupe Orpea : "À la moitié de mon enquête, via un intermédiaire, on me fait une proposition me demandant si j'étais prêt à arrêter mon enquête pour 15 millions d'euros".
Les retombés
Dès la publication de l’ouvrage, Brigitte Bourguignon, ancienne ministre des Solidarités et de la Santé de France, avait annoncé entamer une enquête administrative sur Orpea. Le coût des actions du groupe à la bourse de Paris avait chuté de 52 % durant les trois jours suivant la parution du livre. Moins d’une semaine après le début du scandale, Yves Le Masne, directeur général de l’époque, annonce son limogeage au profit de Philippe Charrier, alors président du conseil d'administration d'Orpea. Brigitte Bourguignon annonçait le 1er février l'ouverture de deux enquêtes administratives supplémentaires confiées à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et à l'Inspection générale des finances (IGF).
L’avocate Carole Masliah soufflait à Libération avait reçu plusieurs centaines de témoignages en seulement deux semaines. Une “libération de la parole” qui, selon elle, résulte de la parution du livre de Victoire Castanet. “On reçoit énormément de témoignages, mais assez peu de gens souhaitent déposer plainte.”, tient-elle à nuancer. Selon elle, les victimes ont peur de porter plainte contre le groupe de peur des répercussions sur leurs proches toujours en résidence chez Orpea.
Face à l’ensemble des accusations, le groupe dénonçait le 24 janvier une enquête à charge, contestant l'ensemble des chefs d’accusations retenues à son encontre. Dans un communiqué de presse, Orpea annonçait "mandater immédiatement deux cabinets reconnus pour leur confier une mission indépendante d’évaluation sur l’ensemble des allégations rapportées dans ce livre". Finalement, près d’un an après le limogeage d’Yves Le Masne, le groupe porte plainte contre l’ancien PDG pour "des faits susceptibles de caractériser des infractions d'abus de biens sociaux ou de crédit de la société, d'abus de confiance, complicité, recel, ou blanchiment."
La situation post-OrpeaGate
Le scandale Orpea a secoué l’ensemble des établissements pour seniors français. Le Gouvernement avait déposé un décret en avril 2022 pour garantir plus de transparence sur les établissements destinés à l'accueil de personnes âgées. Pour les politiques, l’affaire était devenue un véritable sujet de société qu’il était urgent de traiter. “En mars 2022, le gouvernement s’était engagé à mobiliser les agences régionales de santé (ARS) pour qu’elles contrôlent les 7 500 Ehpad d’ici à 2024. À ce jour, elles ont réalisé depuis le printemps 1 400 contrôles, dont 59 % sur site.”, renseigne un article du journal Le Monde. Pour Laurent Guillot, directeur général du groupe Orpea depuis le 1er juillet 2022, c’est désormais "tolérance zéro" : "Depuis, c’est tolérance zéro sur les pratiques illégales et les pratiques financières d’optimisation", avait-il lancé en novembre dernier.
Laurent de Guillot remplace Philippe Charrier à la direction d’Orpea, après seulement
6 mois au poste.
crédit : Julien De Rosa
"La publication des Fossoyeurs a permis une prise de conscience de l'ensemble de la société", affirmait Michel Billé, sociologue spécialiste des questions relatives à la vieillesse dans une interview accordée au média Libération. Toutefois, “Il n'y a pas grand-chose qui a changé” s’accorde-t-il finalement. “Il n'y a pas rien eu du tout. Des enquêtes ont été menées, des mesures prises, relate Alexandra Saphores, déléguée syndicale CGT chez Orpea, toujours pour Libération. Malgré tout, “rien” qui ne soit à la hauteur des dysfonctionnements dont Les Fossoyeurs s'est fait le porte-voix”.
Des opinions contrastées
L’emballement médiatique qu’a subi le tristement célèbre OrpeaGate lui a permis de se faire connaître de tous. Que l’on soit directement concerné ou non, chacun a pu se faire sa propre opinion. Simon Maunoury est parti arpenter les rues vichyssoises pour sonder les Français : Suite au scandale Orpea, avez-vous confiance dans les établissements réservés aux seniors ?
“Je n’ai pas de problème de confiance par rapport à l’affaire. Je connais des proches qui sont en Ehpad à Vichy et tout se passe bien. Il faut simplement trouver les bons établissements !”, lance vivement Mélissa, 34 ans. Jacques émet quant à lui plus de réserves : “C’est vrai que ce scandale à beaucoup fait parler, se souvient l'homme de 49 ans. Dans mon cas, je n’ai pas eu besoin de placer quelqu’un en Ehpad, mais il est clair que si cela venait à se produire, je me renseignerais beaucoup plus que si je n’avais pas eu connaissance de la polémique.” Un avis que partage Odile. Cette retraité fait preuve davantage de défiance : “Ayant des proches en Ehpad, on est davantage vigilant. Comme on a désormais connaissance d’actes de maltraitance, on se méfie.”
Anouk Thebaud
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