Célèbre 49-3 et petit nouveau 47-1, le gouvernement pioche dans son éventail d’armes pour mettre à mal le pouvoir parlementaire. Pour la réforme des retraites, Elisabeth Borne feint de laisser la place au débat, un espoir bien maigre pour l’opposition mais une manière plus souple pour faire passer la réforme aux yeux du peuple.
La Première ministre, Elisabeth Borne, le 6 juillet 2022 à l'Assemblée nationale. Source : Bertrand Guay / AFP
“La guérilla parlementaire est un art”, a déclaré François Ruffin mercredi 25 janvier au micro de France Inter. Et ce n’est pas Elisabeth Borne qui le contredira. Le 15 décembre dernier, le 49-3 a été dégainé pour la dixième fois. Le gouvernement a fait de cet article son arme favorite face à une Assemblée où la Macronie n’est pas toute puissante. Si Michel Rocard, à la tête du gouvernement sous Mitterrand entre 1988 et 1991, détient encore le record avec 28 utilisations, la Première ministre actuelle a contribué ces derniers mois à médiatiser encore un peu plus l’article le plus connu de la Ve République.
Le nombre d’utilisation du 49.3 par Premier ministre dans la Ve République. Source : Actu.fr
Mais, en plein dans une réforme des retraites qui, sans surprise, anime les débats dans l’hémicycle et fait descendre les foules dans les rues, le gouvernement met en lumière une nouvelle arme jusqu’ici moins connue du grand public. Trois nouveaux chiffres pour mettre à mal le débat parlementaire : 47-1.
“Si l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d'un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours. Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance.”
Article 47-1
source : Légifrance
Avec cet article de la constitution, le gouvernement a, entre ses mains, le pouvoir de limiter grandement le débat dans une chambre comme dans l’autre. Jean-Philippe Derosier, juriste et spécialiste de droit constitutionnel le précise à nos confrères du Parisien : ”chaque fois qu’un texte de loi portant sur le financement de la sécurité sociale est voté, le 47-1 s’applique. Contrairement au 49.3, on ne peut pas décider de l’activer ou de ne pas l’activer”. Pour autant, il est essentiel de rappeler que même si le 47-1 “s’applique”, le gouvernement demeure seul décideur de limiter ou non le débat politique.
L'arbre qui cache la forêt
Rares sont les fois où vous avez dû entendre parler du petit 47-1 face à l’ogre 49-3. Pourtant, ils se ressemblent en bien des points. Le 47-1 s’active uniquement pour les PLFSS, acronyme des projets de loi de financement de la sécurité sociale. Un secteur où le 49-3 est également roi. Pour rappel, même s’il est limité à une seule utilisation par session parlementaire, il devient exploitable à l’infini lorsqu’il s’agit des projets de loi de finances, dont les PLFSS.
Mais alors, pourquoi s’employer à dégainer un autre article que le 49-3 maîtrisé sur le bout des doigts par le gouvernement Borne ? Il est déjà important de rappeler que rien n’est gravé dans le marbre. Le parlement n’est pas à l’abri de se voir imposer le 49-3 si le gouvernement en décide ainsi.
Néanmoins c’est bien le 47-1 qui a été évoqué et qui plane au-dessus l’hémicycle. Un choix éminemment politique de la part du gouvernement qui présente ainsi sa réforme en feintant de laisser la place au débat. Il pourra se prévaloir d’avoir laissé place au débat mais dans les faits, en seulement 20 jours, le processus démocratique ne peut pleinement se développer.
Utiliser un levier aussi radical que le 49-3 à ce moment du processus démocratique provoquerait un remous inévitable. Dans l’hémicycle certes les remontrances seront fortes mais c’est surtout dans la rue que l’opposition sera la plus violente. Ce serait donc un échec cuisant pour l’exécutif de devoir imposer un projet fondateur de sa politique comme celui-ci.
Risque d'inconstitutionnalité
Pour pouvoir s’appuyer sur des articles de la constitution tels que le 47-1, le gouvernement a donc construit et inséré sa réforme des retraites dans un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Un choix qui est efficace pour bloquer l’opposition. LFI a été contrainte d'adapter sa méthode classique d’obstruction par dépôt de multiples amendements. “Si on était dans un mode législatif classique avec un projet de loi, bien sûr on aurait déposé beaucoup d’amendements pour laisser le temps à la mobilisation sociale de se déployer, justifiait Manuel Bompard, le coordinateur du mouvement, sur France Inter, dimanche 22 janvier. On n’est pas dans ce cas de figure là aujourd’hui.”
Néanmoins la stratégie Macroniste risque de se retourner contre elle. “Je ne pense pas que les Français qui ont à comprendre le contenu de cette réforme se préoccupent de savoir si c’est dans un PLFSSR ou dans un projet de loi ordinaire”, a déclaré la cheffe du gouvernement lundi 23 janvier. Pour autant, la Première ministre est consciente du risque qui entoure cette forme législative. Elle a promis de délivrer un texte conforme à la constitution. Mais ce n’est pas elle qui aura le dernier mot.
Le président du conseil constitutionnel, Laurent Fabius l’a bien précisé : “Nous ne voulons pas de détournement de procédure. Si un texte arrive au Sénat sans un vote préalable de l'Assemblée c'est embarrassant. Nous regarderons si [le texte] a une incidence financière, car tout ce qui est hors champ financier peut être considéré comme un cavalier budgétaire et dans ce cas il faudrait un deuxième texte”. Après examination du conseil constitutionnel, le PLFSSR pourra donc se voir scindé et obligé de repasser au travers de l’ensemble du système législatif sous une forme moins avantageuse pour le gouvernement. Une situation qui ne manquera pas de rendre le sourire à l’opposition et aux manifestants.
Joey Temple
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